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Mégalo Paul
GRÉGORY SCHNEIDER ENVOYÉ SPÉCIAL À RIBEIRÃO PRETO 2 JUILLET 2014 À 18:16
PORTRAIT
S’il est talentueux, le jeune milieu de terrain de l’équipe de France déconcerte par ses postures de diva.
Si l’on oublie les variantes, on connaît deux manières pour un joueur d’esquiver les questions des journalistes en zone mixte, cet espace dédié aux échanges entre les médias et les acteurs après les matchs. Celle où l’on domine les requérants, la «Patrice Evra» si l’on veut, qui lance des «salut les gars !» et des «bonne soirée !» avant de filer quelque peu narquois. Et l’autre, la «timide», le tripotage de portable ou le gars que l’on fait semblant de voir à travers le mur derrière lequel on disparaît.
Au Brésil, Paul Pogba, milieu de terrain de 21 ans et futur du foot français pour un landerneau qui tremble rien qu’en se mettant en tête les perspectives ouvertes par le loustic, en aura inventé une troisième. Il traverse en aveugle. Le port de tête royal et les yeux écarquillés : Cléopâtre montée sur un char de quinze mètres s’avançant dans Alexandrie. Mais en aveugle quand même. Après son but de lundi face au Nigeria en huitième (2-0) et son titre honorifique de meilleur joueur du match, ce qui pouvait se discuter tant il avait fait n’importe quoi pendant près d’une heure, il a pour ainsi dire créé l’événement en lâchant deux phrases : «On est soudé, uni. Si je pouvais donner ce titre à tous les joueurs de l’équipe, je le ferais.» Puis, le natif de Lagny-sur-Marne est parti.
Vincent Lagaf. Non qu’il manque de hardiesse. Au printemps, dans une interview donnée à la BBC, il estimait qu’Alex Ferguson, éternel manager d’un club de Manchester United dont Pogba claqua la porte avec fracas il y a deux ans pour cause de faible temps de jeu, lui avait «manqué de respect», un peu comme si Vincent Lagaf demandait des comptes à Charlie Chaplin.
En juillet 2013, lors du Mondial des moins de 20 ans en Turquie, remporté par les Bleuets, il avait remis en place en plein match son sélectionneur d’alors, Pierre Mankowski. Qui avait à peine relevé, aussi pétrifié que les autres par un athlète à la gestuelle et à l’équilibre uniques, évalué en mai par l’Observatoire du sport basé à Genève à hauteur de 66 millions d’euros : deux fois le montant record pour un Français, celui du transfert de Karim Benzema de Lyon au Real Madrid en 2009.
Au camp de base de Ribeirão Preto, son capitaine, Hugo Lloris, a vu un homme double : «Il aime danser et rigoler, il apporte une certaine joie de vivre. Et il a aussi énormément d’ambition.» En décembre, un membre du staff n’était pas très loin de voir dans cette ambition quelque chose d’un peu délirant, aux confins de l’excentricité et de la mégalomanie.
Il a fallu s’en rappeler depuis trois semaines : la ligne de partage entre le sentiment de supériorité du milieu de la Juventus de Turin et le fait que l’on puisse lui reprocher ce sentiment est une pomme de discorde récurrente entre les joueurs et ceux qui les suivent au Brésil. Après l’Equateur, devant le énième refus du bonhomme de répondre à la moindre question, un confrère a lâché une remarque ironique à son passage : Pogba n’a pas relevé et les témoins en ont été quittes pour un coup de chaud, le retour du fantôme de l’altercation impliquant Samir Nasri en 2012.
«posturologue». A Brasília, le tir de barrage des tricolores à son sujet s’est intensifié, comme si l’enjeu sportif entourant le milieu de terrain devenait exponentiel au fur et à mesure que le niveau s’élève. Karim Benzema : «Ah bon, vous avez trouvé Paul mauvais ? On ne doit pas voir le même football, alors.» Blaise Matuidi : «Paul a eu la réponse des grands joueurs, et elle tombe toujours dans les grands moments. Tout le monde attend beaucoup de lui : vous, moi, l’équipe et lui-même. Mais n’oubliez surtout pas son âge.» Ça ne risque pas, d’autant moins quand on se remet en tête la seule apparition de Pogba lors d’un point presse au Brésil. Entre deux récitations, il avait sorti ceci : «Nonchalant, facile… les gens me disent ça, mais c’est mon football et c’est comme ça depuis que je suis tout petit.»
Quand il n’est pas en campagne, Pogba est le joueur tricolore le plus entouré : il s’appuie sur une structure privée - tolérée par les clubs qui l’emploient - comprenant préparateur physique, physiothérapeute, nutritionniste, cuisinier et «posturologue», sans même parler de ceux qui s’occupent de ses sous : difficile de faire la part du parasitisme, mais bon, au pire, ces gars-là doivent avoir au moins le mérite de le rassurer. Depuis les tribunes, on voit un mélange d’hésitations, de maladresses, contrebalancé par une sorte de feu intérieur, comme si ses défauts nourrissaient ses qualités et inversement. Là comme partout, Paul Pogba fait son âge.
Grégory SCHNEIDER Envoyé spécial à Ribeirão Preto |
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